Aujourd’hui, nous vous proposons un article de la spécialiste du longe côte Sylvie Vieillard issu de son livre “L’aventure longe-côte, le littoral réinventé.” Un livre que tout longeur devrait lire, disponible en intégralité sur notre boutique.
La marche en mer, pour certains, est une lutte contre soi-même : la peur de l’eau, le cœur qui s’emballe, une partie du corps blessée qui souffre à chaque mouvement, ou encore la perte de motivation pour sortir, pour voir des gens… De 30 à 100 personnes environ par club, avec une fréquentation variable selon la période de l’année. Entre 15 et plus de 70 ans passés. Toutes et tous apprécient la bonne humeur, la joie d’être dans l’eau, l’intérêt que chacun porte aux autres. Pouvoir se mouvoir sans trop souffrir, et même pouvoir forcer, avancer très vite, sentir son cœur battre fort sans danger, est un petit exploit pour chacun de nous.
Après la séance, la satisfaction se lit sur les visages. Cette prouesse n’est pas un vain mot, et c’est sans doute ce qui soude le plus efficacement un groupe de longeurs.
« Loin d’être tous des sportifs de haut niveau, nous venons d’horizons très variés, et c’est ce qui fait la richesse de ce groupe. »
Il y a aussi l’envie d’aller en mer plusieurs fois par semaine voire tous les jours pour ceux qui le peuvent. Ce rythme hebdomadaire de pratique est suivi par la plupart des longeurs. Il est tout autant moteur que le fait de se baigner dans un site paradisiaque. En hiver ou quand les conditions sont mauvaises, aller dans l’eau est une petite victoire sur les éléments. C’est un grand facteur de motivation personnelle.
Aujourd’hui, il y a une bonne grosse houle. Une habituée vient discrètement, tout en marchant, se positionner à côté d’une collègue qui a un peu peur. Elle saute avec elle en la soulevant au niveau des épaules, l’aidant ainsi à surmonter les flots. Ces deux dames en combinaison, vous les auriez peut-être à peine regardées en passant sur le sentier littoral. Elles me font penser aux rugbymans et à cette attitude si caractéristique, quand deux joueurs de l’alignement en soulèvent un autre haut vers le ciel au moment des touches. C’est ce qu’on appelle “l’ascenseur”; le sauteur, un beau gaillard, étant porté à plus d’1m20 du sol parfois ! Le geste sportif de mes camarades est un peu moins spectaculaire mais tout aussi beau, croyez-moi ! Cet exercice de saut au-dessus des vagues, l’une soulevant l’autre, se répète plusieurs fois au cours de la séance. Tout se passe très bien. Et au bout d’une heure, chacune sort de l’eau heureuse de cette solidarité spontanée.
« On voit de beaux gestes de solidarité dans les vagues, des images fortes ! »
Après l’entraînement et la douche, nombre d’aquamarcheurs aiment se retrouver autour d’une boisson chaude. On parle de tout et de rien. L’un d’entre nous a préparé un gâteau ou des crêpes. On fête une naissance, ou un diplôme pour les plus jeunes. Le partage est naturel, qualitatif, à l’initiative de chacun.
L’organisation de séances de marche aquatique me semble particulièrement favorable à la création de liens sociaux assez “light”, mais de qualité. Tout ce que l’on recherche dans notre société actuelle en somme ! Nous passons une heure en mer, pendant laquelle nous pratiquons une activité physique tout en pouvant discuter en plusieurs petites occasions.
(…) Dans un groupe d’aquamarcheurs, les gens vont simplement à la rencontre des autres. Je vois un lien avec les analyses que font les grands aventuriers de notre temps sur le voyage et leurs choix de vie. Pour eux, sortir des sentiers battus, du conformisme, du quotidien, c’est s’ouvrir au monde, et notamment aux autres, devenir curieux. Il y a un plaisir tout simple, mais réel, à faire attention aux femmes et aux hommes qui se trouvent avec nous lors de ces découvertes. C’est cela aussi l’aventure, une saveur d’inconnu partagé avec des inconnus, tout simplement parce que ce n’était pas prévisible.
Quelle dose d’effort est produite collectivement par le groupe lors d’une séance ? À notre époque, des inventeurs cherchent à valoriser tous les types d’énergie fabriquée, ne serait-ce que par un mouvement de bras répétitif. Alors, à nous tous, cela doit être conséquent ! En écoutant mes collègues me raconter leurs ressentis, j’entrevois souvent une certaine rage, l’envie de se prouver qu’on peut encore “gazer” quel que soit notre âge !
C’est vrai que beaucoup fournissent un effort physique remarquable, ils veulent s’arracher, et encore repartir, et encore rattraper le premier… Tant l’ardeur que la persévérance sont admirables. Est-ce parce que la vie en dehors est particulièrement dure pour chacun ? Qu’elle écrase les identités, qu’elle blesse les individus, les accable, voire les abrutit, que l’égoïsme individuel semble devoir tout anéantir des rapports sociaux et du bien vivre ensemble ? On peut aisément imaginer les pressions liées aux modes de vie actuels : recherche de rentabilité à outrance, conditions de travail dégradées, problèmes de relation avec les collègues ou les clients, temps de transport, chômage et regard des autres, quand ce n’est pas la succession de rendez-vous médicaux liés à une longue maladie, ou encore la perte d’un proche…
« Le décor du longe-côte est peut-être vraiment propice à cet épanchement de joie de vivre et d’énergie. »
José l’a remarqué : « Quand on s’aperçoit que des gens simples comme nous sont, une fois dans l’eau, impressionnants de volonté et de force physique, ça nous donne envie de faire des efforts.»
Alors, dans l’eau au moins, au cours de ces beaux paysages quelque peu préservés de l’urbanisme destructeur, avec ce groupe humain généreux, on peut se lâcher, exprimer toute la puissance dont on est capable, puis sortir la tête haute, fiers de nous, et plus sereins. Je perçois vraiment cette envie de donner le meilleur de soi-même, une vitalité extraordinaire, qui serait tellement contrainte le reste du temps, et pourrait enfin s’exprimer dans ce cadre. Il faut, je pense, en retenir tous les aspects positifs. Les gens ont encore envie de faire de gros efforts physiques, de se battre, de persévérer, pour eux et pour un groupe, sans produire forcément quelque chose de concret, sans viser un résultat ou une récompense à tout prix.
Il suffit de leur en fournir l’occasion et ne juger personne. Le groupe d’aquamarcheurs offre certainement un environnement social idéal pour s’épancher !